Prairie de cendres
Ce travail-ci répond à une nécessité : celle de la douleur. A une anticipation : la mort d'un proche. A une question : qu'adviendra-t-il de celui que j'ai aimé, regardé, embrassé ?
Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière.
On a beau avoir été prévenu, qui ne s'est posé la question de la manière dont tout cela finira pour soi-même, l'heure venue ?
Souviens-toi... L'objectif photographique se souvient. Image après image, voici la chronique du lieu de notre dernier séjour, de notre dernière flamme. Concentration. Combustion. Dispersion.
Chaque jour les mêmes gestes, puisque la mort jamais ne s'arrête.
Et les servants de ce rituel. Faux durs au cœur fragile. Son expression à elle, qui les photographie.
Les coulisses de la disparition d'un corps en deviennent des fenêtres ouvertes sur une fraternité secrète, un métier d'invisibles.
Témoins fugitifs, respectueux de nos larmes. Soudain si proches. Comment survit-on, jour après jour, à ce travail-là ?
Françoise Deprez ne répondra pas à leur place. Elle nous donne simplement leurs visages, leurs nuques, leurs mains, leurs outils, brancard, gants, tisonnier, le brillant d'une carrosserie, le poli d'un cercueil, une silhouette qui s'éloigne, une brume, un halo.
Une prairie de cendres.
Caroline Lamarche